• 05 / Feb / 2025
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Congo : Les femmes ensemble face au viol

     Le nord Kivu est une région située à l’est du Congo et au sous-sol immensément riche où se côtoient l’or, le diamant, le pétrole, le gaz, l’ivoire, le cuivre, l’étain etc… Depuis 1998, une guerre d’une horreur inimaginable s’y déroule, quasiment passée sous silence par les médias. Les protagonistes sont des miliciens rwandais et ougandais qui pillent les richesses au profit des multinationales occidentales terrorisant et massacrant sans aucun état d’âmes les populations autochtones afin de les chasser de leurs terres.

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     Les scènes sont au-dessus de ce que le commun des mortels peut s’imaginer supporter : meurtres de sang-froid, viols d’une extrême violence, parties intimes charcutées par des objets contondants ou tranchants et parfois aspergées de pétrole puis brulées, introduction dans le vagin de toute sortes d’objets comme des fusils, du caoutchouc brulé, du sel ou de la soude caustique, tirs à balle réelles, seins sectionnés, fils contraints sous la menace d’une arme de violer mère ou sœurs. Toute humanité semble avoir définitivement déserté le cœur de ces bourreaux de femmes et d’enfants qui utilisent le viol comme arme de guerre.

    En 2004–2005, l’ONU et les organisations non gouvernementales (ONG) estimaient que jusqu’à 100 000 femmes avaient été violées dans l’ensemble des provinces de l’Est de la RDC.

    Les survivantes font face à de nombreux problèmes juridiques et médicaux et à de difficiles conditions de vie. Nyota Mbulu, 27 ans, a été violée par quatre miliciens à Uvira. Ses parents et son mari ont été tués. Elle a fui à Goma et a tout perdu. Nyota a aussi contracté le VIH/sida et, ayant atteint les phases finales de la maladie, se retrouve trop faible pour gagner sa vie. D’autres femmes témoignent de la barbarie vécue dans le nord Kivu : « Que ce soit les FDLR ou les Maï-Maï, c’est toujours pareil. Ils kidnappent toutes les femmes du village à partir de 13 ans. Arrivés dans la forêt, on nous regarde et celles qui pèsent moins de 50 kilos sont exécutées. D’autres ont moins de chance. Ils leur tranchent les seins et les mangent, persuadés alors de bénéficier de pouvoirs magiques. J’ai vu ces femmes agoniser et on ne pouvait rien faire pour elles. C’était horrible... Nous vivions nues. On devait assouvir les besoins sexuels de tous les soldats. J’ai été violée parfois plus de dix fois dans une même journée. Ils cherchent de l’or dans nos vagins. Mais je m’estime chanceuse, j’ai vu des femmes enceintes qu’ils ont enterrées vivantes pour que la terre soit fertile ». Le chef coutumier de Walikale, Willy Buhini, explique la phrase employée par Theresa, « ils cherchent de l’or dans nos vagins » : « Les viols massifs se déroulent dans des villages près des zones minières, là où il y a une forte concentration d’or. Souvent, les femmes cachent des petits colis d’or dans leur vagin. Les groupes armés le savent, c’est une pratique fréquente dans la région ».

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    Au milieu de ces atrocités quotidiennes, Denis Mukwege, un gynécologue-obstétricien spécialisé en chirurgie réparatrice, qui soigne et répare toutes ces victimes de viols. C’est en 1999 qu’il crée l’hôpital de Panzi à Bukavu, sa ville natale et capitale du Sud-Kivu, afin de donner naissance aux nouveau-nés dans de bonnes conditions. Malheureusement, le destin en décide autrement lorsqu’un jour, une patiente se présente. Il s’agit d’une femme violée avec le bas-ventre explosé par des balles. Horrifié, le docteur Mukwege pense que c’est l’œuvre d’un fou, mais la même année il doit soigner 45 femmes dans le même cas. L’horreur atteint son paroxysme lorsqu’on présente à Denis Mukwege une petite fille dont l’abdomen est totalement détruit par la violence des viols répétés. Il n’en peut plus, il décide de se battre pour que cessent ces crimes impunis, il alerte les autorités internationales, voyage pour dénoncer ces exactions commises par des bandes armées de miliciens ou de soldats réguliers, et l’inertie du gouvernement congolais. Le nombre de patientes victimes de traumatismes gynécologiques s’accroît malgré tout et celui que l’on surnomme « Docteur Miracle » répare les dégâts, devenant un véritable père et consolateur pour ces personnes humiliées au plus profond de leur intimité. Car, en dehors du fait d’avoir subi un viol d’une atrocité sans nul autre pareil et qui restera impuni, elles sont rejetées par leur famille pour avoir perdu ce qu’elles avaient de plus cher à savoir leur honneur. De plus, atteintes d’incontinence (perte continue et incontrôlée d’urine et de matières fécales) ainsi que de plaies purulentes, elles sont condamnées à la misère et à l’exclusion sociale, ce qui engendre une détresse psychologique immense. Par son combat, le docteur Miracle nuit aux intérêts de certains, il devient une cible à abattre. Après plusieurs tentatives d’assassinats dont celle du 25 octobre 2002 où l’un de ses proches est abattu, il s’exile en Europe. À son retour en 2003, il est sous protection des casques bleus de l’ONU durant un temps, mais actuellement il doit se débrouiller par ses propres moyens et vit cloîtré dans son hôpital.

      Si le Docteur Denis Mukwege est en vie et continue de panser des blessures atroces, il n’en n’est plus de même pour le docteur Gildo Byamungu, un autre gynécologue-obstétricien assassiné vendredi 14 avril 2017 de trois balles. Il était le seul gynécologue qui pratiquait à Uvira, dans l’est de la République Démocratique du Congo, où sévissent de nombreux groupes armés. Formé par Denis Mukwege dont il était proche, il dirigeait l’hôpital général de Kasonga, dépendant de Panzi, qui avait déjà été attaqué plus d’une fois.

     Aujourd’hui, Panzi est devenu une fondation (comprenant toujours l’hôpital) qui accompagne ces femmes et filles dans leur reconstruction, leur alphabétisation et même  leur auto-défense. Le docteur témoigne : « Certains jours, mes équipes et moi opérions du jour au soir. Les lésions étaient si particulières que les manuels médicaux ne nous étaient d’aucun secours. Nous devions trouver nos propres solutions. Certains des épisodes vécus étaient si horribles qu’ils dépassaient l’entendement. Je devais mobiliser toutes mes forces avant d’entrer dans la salle d’opération. Mes premiers cas en 1999 étaient des femmes adultes. Mais maintenant, j’observe de plus en plus d’enfants, de bébés violés avec des périnées complètement déchirés, où il n’y a plus ni vagin, ni rectum, ni vessie, détruits en un seul trou. Ce serait facile de dire : “Je n’en peux plus, je cherche l’asile ailleurs.” Mais chaque fois que je pense ne plus pouvoir continuer, je vois des femmes arriver avec leurs mutilations graves, handicapées à vie, qui se battent pour le droit de leurs enfants et des autres. Ça m’a toujours ébloui. Si je dois exister, c’est pour cette raison. Ces femmes existent pour sauver notre humanité».


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     Au milieu de tous ces drames sordides, on oublie souvent le traumatisme psychologique qu’ont subi ces femmes qui doivent apprendre à se reconstruire sans l’aide des autorités gouvernementales. Et ce n’est pas seulement ces dernières qui ont besoin d’un soutien psychologique, car, les hommes et les enfants ont été témoins des viols perpétrés et eux aussi souffrent d’un grave traumatisme et ont besoin d’aide. Le traumatisme est souvent aggravé par le fait que très peu de violeurs finissent par être condamnés. Il est difficile de distinguer un groupe d’un autre, et encore plus d’identifier individuellement un agresseur, ce qui complique considérablement les poursuites.


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    Face à cet état des choses, des groupes et associations de femmes se sont créées dans un élan de solidarité afin, de partager la douleur, de mettre des mots sur les traumatismes mais surtout vivre en communauté afin de pouvoir à défaut de tourner la page sur un destin brisé, regarder ensemble vers l’avenir car, disent-elle : « nous avons moins de craintes lorsque nous sommes toutes ensemble ».


Monica Kalla-Lobé.