Esclave devenue militante abolitionniste et combattante durant la guerre de Sécession, elle a marqué l'histoire de la ségrégation aux Etats-Unis.
On l’appelle «la Moïse noire». Née esclave en 1822 d'après certains documents historiques, Harriet Tubman a aidé pendant des années des dizaines, voire des centaines d’autres opprimé(e)s à traverser les routes clandestines qui les séparaient de la liberté. Ce destin héroïque lui vaudra d’avoir son visage imprimé sur les billets de 20 dollars dans les prochaines années. Aucune personnalité noire n’avait eu droit à cette reconnaissance jusqu’à présent.
Sa grand-mère, venue d’Afrique (probablement du Ghana) débarque d’un navire négrier dans l’effroi ségrégationniste du Maryland, à la fin du XVIIIe siècle. La famille qu’elle fonde est séparée au gré du commerce d’esclaves des riches exploitants du coin. A l’âge de 5 ans, sa petite-fille, Harriet, est louée par une femme qui lui intime de veiller sur le sommeil de son enfant. Lorsque celui-ci pleure, elle se retrouve fouettée jusqu’au sang. Sur sa peau, les cicatrices de ces sévices ne s’estomperont jamais. Un autre jour, menacée pour avoir volé un morceau de sucre, elle se cacha dans la porcherie d'un voisin se battant avec les cochons pour les restes de nourriture. Cinq jour après, affamée, elle dû retourner chez sa maîtresse ou elle fût lourdement battue. Elle prit pour habitude, afin de se protéger des coups de s'entourer de plusieurs couches de vêtements.
Les années passent, Harriet est désormais adolescente, mais est toujours battue selon l’humeur des Blancs qui l’entourent. Une de ces blessures va particulièrement influencer la suite de son existence. Alors qu'elle est envoyé dans une mercerie pour acheter des fournitures, elle y trouva un contremaitre furieux qui exigea qu'elle l'aide à retenir un esclave qui avait quitté la plantation sans permission, ce qu'elle se refusa de faire. Le surveillant ayant lancé un poids de deux livres à l'esclave, elle reçu en pleine tête le projectile qui avait raté sa cible. Victime d'un traumatisme crânien la jeune esclave est en proie à des visions, qu’elle interprète comme des signes de Dieu. Elle-même s’est plongée depuis quelque temps dans l’Ancien Testament, se berçant du récit de Moïse guidant les juifs hors d’Egypte. Ses convictions religieuses s’en trouvent renforcées. Elle expliquera plus tard que le fait que ses cheveux crépus n'ait jamais été peignés lui avait surement sauvé la vie car, cela avait permis d'amortir le choc sur son crâne.
En 1849, alors que son maître vient de mourir, Harriet Tubman réussit à s’échapper, laissant derrière elle ses frères et son mari. Elle traverse un bout du Delaware et parvient jusqu’en Pennsylvanie, enfin libre. Mais à peine arrivée, la voilà qui nourrit de nouvelles ambitions. La jeune affranchie va fomenter une idée folle : élaborer des allers et retours vers son ancienne terre pour en libérer des membres de sa famille, puis de sa communauté. Elle estimera plus tard avoir guidé 70 esclaves vers le nord. Certains spécialistes calculent, eux, que des centaines d’hommes et de femmes ont profité de son expérience.
Au commencement de la guerre de Sécession, en 1861, Harriet Tubman rejoint un groupe de combattants en Caroline du Sud. Elle remplit le rôle d’infirmière, de cuisinière, puis de guide, avant, deux ans plus tard, de former ses propres troupes d’espions. Ses hommes partent en éclaireurs, cartographient le terrain des futures batailles et des éventuels chemins de fuite. Leur expertise s’avère extrêmement précieuse pour les régiments de l’Union.
Elle participe par ailleurs aux combats. En 1856, le raid de la rivière Combahee, en Caroline du Sud, libère 700 esclaves dans une scène de chaos qui la marquera à vie. La lutte ne prend pas fin en même temps que la guerre. La militante convaincue continue son combat dans l’antiracisme, puis en faveur du droit des femmes. A New York, Washington ou Boston, elle prend la parole pour revendiquer leur droit à voter. Elle meurt finalement en 1913 dans un hôpital pour Afro-Américains qu’elle avait elle-même contribué à fonder.
Sa mémoire, célébrée chaque année le 10 mars, sera bientôt honorée par chaque billet de 20 dollars mis en circulation aux Etats-Unis, une décision saluée notamment par Hillary Clinton ou encore Edward Snowden sur Twitter. Parmi la liste des nouveaux visages qui figureront sur les billets de 10 et de 5 dollars, on trouve par ailleurs deux autres femmes noires : Sojourner Truth, esclave elle aussi devenue abolitionniste, et Marian Anderson, première chanteuse noire américaine à être montée sur la scène du Metropolitan Opera. Le design de ces nouveaux billets sera dévoilé en 2020. Une année «anniversaire» : aux Etats-Unis, cela fera 100 ans que les femmes ont le droit de vote.
Monica Kalla-Lobé.