• 09 / Oct / 2024
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FUNERAILLES : UN FARDEAU EN AFRIQUE

          Bien avant l'arrivée de l’islam et du christianisme qui prêchent la résurrection des morts au dernier jour, les Africains croyaient en l’existence d’une vie après la mort. Les funérailles étaient des occasions favorables de rendre hommage aux défunts et de témoigner de leur vie terrestre ainsi que de leurs relations avec leur famille et leur entourage. Car, dit la croyance africaine, les morts ne sont pas mort et parler en bien de l’âme du mourant l’apaise et l’aide à entreprendre le voyage vers l’au-delà avec sérénité. Voilà pourquoi les morts sont valorisés dans toutes les sociétés africaines. La familiarité des vivants avec leurs morts est une attitude qui souvent impressionne des personnes venant d'autres cultures.

     Il est impossible de nier la réalité tragique de la mort et son inéluctabilité. Dans les pays africains, les funérailles donnent lieu à des manifestations multiformes. Les gens se rassemblent, ils mangent et boivent, ils chantent, pleurent et dansent autour de leurs morts... sans jamais les laisser seuls car, le deuil apparait aussi comme une fête : la fête de la vie terrestre du défunt et celle de son passage dans l’autre monde. Mais les manifestations dépendent de l'âge du défunt. En effet, la disparition d'un enfant non encore nommé, d'un enfant sans dent, est généralement considérée comme anodine; mis à part la douleur des géniteurs. Tandis que celle d'un adulte producteur et procréateur ou d'un vieillard est vécue différemment. En d'autres termes, le deuil social et le deuil psychologique se conjuguent différemment selon le statut et l’époque du défunt ou de la défunte. Malheureusement, ce sont des célébrations à répétition, comme l'explique si bien l'auteur de ce texte:

«Dans plusieurs régions africaines, la mort est le quotidien des populations, en raison de la pauvreté, de l'inaccessibilité des centres de soins et des médicaments, de conflits et surtout du développement de la sorcellerie. Devant l'accroissement alarmant du taux de mortalité, l'africain s'est trouvé un réconfort psychologique en créant une relation de familiarité avec la mort. Les Africains associent la vie à la mort et définissent plusieurs activités autour du mort. Pour eux, il existe une vie après la mort, c'est-à-dire dans l'au-delà. Ainsi, ils se préoccupent de façon permanente des funérailles, et des différents échanges post funérailles entre les survivants et les morts; la mort est plus importante même que la maladie c’est-à-dire la cause de la mort.

    De nos jours, malgré la prédominance des religions révélées et leur pratique par une majorité de la population africaine, il n’en est moins que certains rituels animistes persistent. Les populations ont beaucoup de mal à différencier les traditions religieuses exigées par leur religions et les traditions culturelles qu’ils confondent simultanément allant jusqu’à parfois attribuer un rite à la religion alors qu’il est issue que des us et coutumes. D'aucuns diraient que les Africains vivent dans un monde incohérent, irrationnel: ils accordent plus d'importance aux dépouilles mortelles qu'aux malades de leurs sociétés, aux morts qu'aux vivants! Même ceux qui n'ont pas d'argent pour prendre en charge leurs malades savent trouver des moyens à la fois économiques et financiers, matériels et humains pour organiser les funérailles souvent coûteuses des leurs. Ils n'y arrivent souvent que grâce à la solidarité africaine (cotisations des proches, apports individuels spontanés et contributions de proches) qui intervient surtout dans l'organisation de la veillée mortuaire, un processus qui commence depuis l’annonce du décès après la constatation de la mort jusqu’à la levée du corps. Suivant cette logique, les obsèques se doivent d’être marquantes. Longues de plusieurs jours quand elles ne couvrent pas plusieurs semaines, elles supposent une fête somptueuse où sont conviés tous les membres du village.       On va bien sûr choisir un cercueil impressionnant, un monument funéraire de belle facture, une pierre tombale en marbre et gravée de messages posthumes pour traduire visuellement le prestige du disparu. On fait fabriquer des fleurs garnies, des T-Shirts et des badges à l’effigie du mort que l’on distribue à l’assistance, des tissus cousus uniformément pour la famille etc...  

        On engage des pleureuses professionnelles, des musiciens, des porteurs de bière, voire même des figurants pour étoffer le cortège. On peut également recourir aux services d’un maître de cérémonie qui évoquera la mémoire du disparu devant ses proches. Outre l’enterrement proprement dit, il convient d’organiser une fête, principalement un festin qui peut rassembler jusqu’à 500 personnes suivant la notoriété du défunt ou le statut de la famille, sans compter les éventuels pique assiettes. Cela suppose l’achat de nourriture et de boisson en abondance, voir les services d’un traiteur. Il faut par ailleurs louer une tente, des tables et des chaises, parfois engager des serveurs.

        Mais dans cette Afrique de croyances variées où il n'existe pas de mort naturelle, les funérailles constituent aussi les lieux privilégiés de conflits et même de règlements de comptes. Les supposés auteurs de pratique de sorcellerie sont les victimes de la barbarie, des agressions physiques ou verbales des populations aboutissants parfois à des meurtres commis en public avec une extrême cruauté. Ils sont brûlés vifs, lapidés ou assassinés à la machette parfois sans même que la preuve de leur culpabilité soit établie. Les voyous du quartier souvent des jeunes frustrés par des conditions de vie difficiles, du chômage permanent ou simplement par une colère sourde s'en mêlent pour faire prévaloir par la force ou par la violence leur identité et imposer leur volonté en profitant de la crainte des familles qui font toujours profil bas face à une jeunesse violente.

      Nombreuses sont des voix africaines qui se lèvent pour dénoncer le mal qui ronge l'Afrique. Georges Yang est l'une d’elle : « Le deuil et les funérailles pénalisent gravement l'économie et la productivité de l'Afrique sub-saharienne. En plus de l'aspect économique non négligeable, les rites et pratiques funéraires maintiennent l'Africain dans la peur de l'irrationnel et la dépendance psychologique. Le domaine des morts interfère de façon très négative dans le quotidien des gens au point de leur pourrir la vie et leur coûter des fortunes ».

         Autant de réalités traditionnelles vécues différemment par les peuples de cette Afrique à découvrir davantage. Obligées de se soumettre à la tradition et au poids social, les familles n’hésitent pas à s’endetter lourdement, et parfois sur de longues années pour financer des funérailles somptueuses. Il est d’ailleurs à noter que très souvent on préfère s’endetter à ce sujet plutôt que de dépenser de l’argent en amont pour se soigner.

       Jusqu’à présent, les proches et le clan pouvaient participer aux dépenses via une cagnotte ou une tontine. De plus en plus les assureurs africains travaillent sur des garanties obsèques afin de soulager les héritiers obligés de suivre la coutume. Le problème a du reste des retombées économiques lourdes à plus d’un titre et qui alarment les pouvoirs publics : outre un taux de surendettement record, les funérailles, de par leur longueur, génèrent des périodes chômées où les entreprises locales sont obligées d’arrêter leur production, l’ensemble des salariés étant impliqués dans les cérémonies. Pareilles célébrations ont un coût exorbitant. Ce marché lucratif est d’ailleurs en pleine expansion, avec des entreprises qui se spécialisent dans ce créneau, par exemple les pleureuses qui s’organisent de plus en plus en collectif et tarifient leurs interventions en fonction des services demandés (pleurs simples, cris, invectives des coupables de la mort etc…, les tarifs des pompes funèbres et de l’achat de cercueil chez les chrétiens qui sont difficilement finançables pour certaines familles sans compter la construction de la tombe et son entretien qui coûtent également cher au proches conduisant parfois à leur abandon par les proches qui n’arrivent plus à suivre au fil des années.

    En conclusion, il est à noter que malgré que ces pratiques soient beaucoup plus flagrantes en Afrique et qu’il y a des retombées sur les familles conduisant parfois à des conséquences insoupçonnées tant financières qu’émotionnelles, la mort est devenue un véritable business dans plusieurs pays du monde et de nombreuses fortunes en ont découlées. On peut trouver cela macabre ou même inapproprié, il n’en demeure pas moins que cet état des faits a encore de longs et beaux jours devant lui car aucun scientifique n’a encore trouvé la formule qui nous permettrait de prétendre à l’immortalité et, que le poids de la société depuis toujours a été le levier qui conditionne la plupart des actes.

Monica Kalla-Lobé.