Développer
l'e-commerce en Afrique en s'appuyant sur la diaspora, c'est le concept imaginé
par Rania Belkahia. Un Amazon africain désormais implanté dans six pays et dont
la croissance ne faiblit pas.
Le géant du
e-commerce Amazon a conquis le monde. Sauf l'Afrique, continent en forte
croissance tirée par une classe moyenne en plein développement. C'est sur ce
marché quasiment vierge que Rania Belkahia a lancé Afrimarket en 2014 avec son
associé Jérémy Stoss. Après avoir passé son bac S à Casablanca, la jeune
marocaine (binationale depuis 2016) vient en France pour continuer ses études
et suit une formation d'ingénieur à Télécom Paris.
« J'ai
fait mon stage de fin d'études dans le cabinet Polyconseil du groupe Bolloré,
où j'ai rencontré mon futur associé, qui était alors directeur Afrique. Nous
avons travaillé ensemble sur un projet de déploiement de la fibre optique entre
Abidjan et Bouna, en Côte d'Ivoire. »
Le désir
d'entrepreneuriat pousse la jeune femme à faire un master à HEC pour combler
ses « lacunes en matière de management ». Pendant cette période,
Jérémy Stoss part travailler dans une banque d'affaires. Un an plus tard, le
duo décide de monter une société sur le continent africain.
« Grâce à
ma double culture, je possédais une bonne compréhension de ce marché. Et Jérémy
avait toujours eu un tropisme africain », analyse la Franco-Marocaine.
Les deux
associés font le constat d'un manque criant de services à valeur ajoutée pour
les Africains, en particulier pour la classe moyenne émergente, au pouvoir
d'achat en augmentation. Ils s'aperçoivent aussi sur place que les
consommateurs ne privilégient pas obligatoirement le prix par rapport à la
qualité.
Trois levées de
fonds, cinq pays
Ils lancent
alors Afrimarket en Côte d'Ivoire et au Sénégal. Ils attaquent ce marché via la
diaspora installée en France et en Europe, en lui proposant d'acheter en ligne
pour leurs proches en Afrique des produits locaux de qualité (alimentaire,
équipement de la maison, électroménager). Un concept original qui séduit Xavier
Niel et Jacques-Antoine Granjon : ils investissent 500.000 euros. En 2015,
Orange et le fonds BIM des dirigeants d'Elior participent à une deuxième levée
de 3 millions d'euros. Afrimarket utilise cet argent pour développer les
infrastructures logistiques. Un an plus tard a lieu la troisième levée de 10
millions d'euros, preuve que les investisseurs croient fermement au projet.
Aujourd'hui, Afrimarket opère dans cinq pays d'Afrique de l'Ouest : Côte d'Ivoire,
Sénégal, Bénin, Cameroun et Mali.
« Nous sommes leader de l'e-commerce dans la sous-région grâce à notre logistique intégrée », explique l'ingénieure télécom.
10.000 références
Afrimarket
possède ses propres entrepôts, sa flotte de véhicules de livraison (camions et
motos pour les zones urbaines), et a développé en interne son outil logiciel,
qui prend en compte les spécificités locales, comme l'absence d'adresses. Le
site a fait le choix d'une offre très large avec 10.000 références.
« À la
différence d'une plateforme e-commerce occidentale qui couvre souvent un seul
secteur (textile, électroménager, alimentaire, etc.), nous sommes obligés
d'avoir un catalogue étendu pour répondre à tous les besoins, du mouton vivant
à l'iPhone », explique Rania Belkahia, qui précise que tous les produits
sont garantis.
Afrimarket
vient de lancer la livraison express en moins de 24 heures dans les grandes
villes. Une première sur le continent selon la cofondatrice de la plateforme
e-commerce, qui rappelle que l'Afrique souffre toujours d'infrastructures
médiocres, qu'elles soient routières ou énergétiques, voire inexistantes dès
qu'on s'éloigne des centres urbains.
D'après
l'Association des gestionnaires et partenaires africains de la route (Agepar),
la densité du réseau routier du continent était en 2013 la plus faible au monde
: 7 km pour 100 km², dont seulement 28% bitumées. Pour Afrimarket, livrer dans
les villages perdus en brousse s'avère un défi quotidien. Autre obstacle à
surmonter : un taux de bancarisation très faible. C'est pourquoi la société
basée à Paris propose un paiement à la livraison et via les téléphones mobiles.
Afrimarket a
signé un accord exclusif avec Auchan et espère devenir rentable d'ici deux ou
trois ans, grâce à des taux de croissance très élevés (plus 10 à 35% par mois).
Aujourd'hui, la diaspora ne représente plus que 20% des acheteurs, pour un
panier moyen de 90 euros, supérieur aux prévisions, malgré la concurrence de
Jumia de l'accélérateur Rocket Internet et Africa Internet Group (AIG).
Pour relâcher
la pression, la jeune femme court des marathons afin d'« améliorer sa
résilience sur le long terme ». « Nous avons quatre ans d'avance sur
ce marché, en termes de compréhension, d'infrastructures et de ressources
humaines », affirme Rania Belkahia. Jeff Bezos et Jack Ma (Alibaba) sont
prévenus.